Carnet de résidence à Issoudun, Robin Hunzinger est Ultraviolette

Dans le cadre de la toute nouvelle résidence de création à Issoudun, mise en place cette fin 2019, en partenariat avec Bip TV, Ciclic Centre-Val de Loire présente Ultraviolette le premier projet qui bénéficie de ce dispositif.

Pour la deuxième commission 2019 d'aide au développement aux films documentaires, la production Ana Films a présenté un projet de Robin et Claudie Hunzinger intitulé Ultraviolette, film documentaire d'environ 70 minutes, qui a déjà obtenu l'aide au développement renforcé du Centre National du Cinéma et de l'Image animée. Ce projet a été remarqué par les membres professionnels de la commission ainsi que par la direction de Ciclic Centre-Val de Loire.

Le film nous transporte dans les années 1920 et 1930. On suit les aventures de deux adolescentes amoureuses, Emma et Marcelle, entre séparation, fugue, séjours au sanatorium pour soigner sa tuberculose et sensation de liberté. Tout est alors possible, les filles peuvent être audacieuses, rebelles, et même s'aimer. Claudie et Robin Hunzinger vont raconter l'histoire de Marcelle à travers les lettres qu'elle a envoyées à Emma et que cette dernière a conservées pendant de nombreuses années. Les images de films amateurs vont donner vie à ces personnages d'une autre époque. Il y aura sans doute alors plusieurs Marcelle, et plusieurs Emma, la brune et la blonde, mais pour raconter un seul et même récit et désir de liberté !

Robin a effectué sa résidence sur plusieurs semaines à Issoudun entre novembre 2019 et janvier 2020, où il a travaillé avec les équipes de Ciclic Patrimoine, fait ses recherches complètes d'archives qu'il a visionnées sur place. Les équipes de Ciclic Centre-Val de Loire en ont profité pour l'interroger afin d'en apprendre plus sur l'origne et les ambitions du projet.

3 questions à Robin Hunzinger :    

Comment est née l'envie de ce film ?

À sa mort, Emma, notre mère et grand-mère, nous avait laissés ses cahiers intimes. En 2006, dans une coopération entre deux générations, mère et fils, nous avions réfléchi ensemble au roman familial qui avait surgi sous nos yeux, et nous en avions écrit un film documentaire, Où sont nos amoureuses, dont Emma était le personnage principal. Ce film racontait comment dans les années 30 et 40, des jeunes gens à la fois politisés et romanesques furent pris dans la grande Histoire du XXe siècle.

Ici, nous poursuivons le travail d’exploration de la vie d’Emma à partir des documents qu’elle avait laissés derrière elle. Cette fois, nous n’avons pas puisé dans ses cahiers personnels, mais dans les centaines de lettres qu’une très jeune fille, Marcelle, 16 ans, son premier amour, lui avait adressées, bien plus tôt, dans les années 20, et qu’Emma, 17 ans, avait conservées. Marcelle avait rencontré Emma, au milieu des années 20 dans une Ecole normale à Dijon. Elles se sont alors follement aimées tout en haut de leur tour d’ivoire. Puis Marcelle, tombée malade, a dû quitter Emma pour entrer au sanatorium.

Ce film est donc d’abord l’histoire d’un premier amour qui a marqué deux adolescentes à jamais. Il démarre au moment de leur séparation,  au moment où le grand amour se mue en absolu d’amour, puisque la passion se nourrit d’absence.

Tout part de deux photographies. Elles sont collées sur la même page d’un album, mais se font face.  Toutes les deux ont été découpées par Emma. On dirait deux papillons épinglés par un collectionneur à la fois fétichiste et malicieux. À droite, Emma, notre mère et grand-mère. Nous la reconnaissons bien : blonde, radieuse, penchée vers nous. À gauche, Marcelle, diva enfantine, au regard oblique. Enfin nous supposons qu’il s’agit de Marcelle mais nous n’en avons pas la preuve - d’où cette quête cinématographique : partir de cette unique photo du visage de Marcelle, pour essayer de l’imaginer, vivante et multiple, et presque de la filmer.

Au fur et à mesure que nous lisions ses lettres, nous avions eu envie d’en savoir plus sur Marcelle tant sa personnalité fascine.  Comment retrouver ses traces, sans mener d’enquête. On n’enquête pas sur le Grand Meaulnes. Donc plutôt, comment mieux l’imaginer ? Voilà le pari fou et fondateur de ce film. Partir de cette photo, et aller à la recherche de ce corps de jeune fille, scruter les fonds des images d’archives, et dans le miroitement des multiples inconnues que nous y croiserons, en faire ressurgir le fantôme. Et ceci grâce au pouvoir incroyable du cinéma.

Les lettres transcrites, il nous fallait des images. Mais celles-ci nous manquaient. En effet, nous n’avions qu’une seule photographie de Marcelle, collée dans un album. Mille lettres et une seule photo ! Ce qui n’a fait qu’aiguiser notre curiosité. Comme nous aurions aimé la voir, cette fille ! De ce manque d’images, nous nous sommes mis à rêver une aventure cinématographique : Une seule image de son visage ? Aucune de sa silhouette ? Comment faire un film avec ça ? Eh! bien nous partirons à leur recherche dans le tréfonds des archives d’amateurs de son temps. Voilà le pari fou et fondateur de ce film.

Quel est votre rapport aux images d'archives, comment vous les travaillez dans vos films, et en particulier, les archives amateurs comme celles de la Collection Ciclic Centre-Val de Loire ?

Les archives amateurs sont des heures et des heures de temps. De temps présent perdu, mais qui fut capté. C’est dans ce temps perdu, ses strates, fragments, morceaux, débris, poussières, que nous avons décidé d’aller chercher Marcelle, là, parmi toutes les petites brunes, les vives, les hardies, pour la remonter de l’abîme par fragments, éclats, détails : Marcelle sera une jeune fille aux multiples visages.

Ce monde des archives est donc celui des disparus. Celui-ci suscite de très fortes réactions affectives. Quelque chose a été, n’est plus, est toujours là, peut revenir. Les archives possèdent le double pouvoir de nous faire revivre la lumière d’un passé défunt et celle d’un présent éternel. Elles semblent abolir le temps et ressusciter les morts. Ses images amateurs sont la matière première du film à venir et la source de visions, de temporalités : toute une série de séquences organisées dans un plus grand ensemble. Elles sont en outre d’une poésie et d’une beauté plastique malgré ou grâce à leur maladresse ou à leur état de conservation. Leur intérêt réside dans la charge explosive de présent que contient toute archive, sa « survivance », pour parler comme Aby Warburg. Une survivance par éclats, éclairs, scintillements, chaos.  Je rêve de donner dans ce film la sensation de ressentir le passé intensément présent. Car bien que né du sentiment irréfutable de la mort, c’est de la vie que naît l’émotion du film. De cette fuite. Du vertige de cette fuite pour la vie.

Quelles étapes de travail sur les archives vous reste-t-il à faire pour Ultraviolette ?

C’est un important travail de collecte et de visionnage d’images que je suis en train de faire et que je dois organiser par thèmes (paysages, visages, enfance, école, groupes de personnes, fleurs, travail, loisirs, printemps, hiver, transport, écoles, sanatorium etc.). A partir de ses chutiers thématiques liés au scénario du film, je vais pouvoir commencer le montage du film.

Retrouvez Robin Hunzinger pour une master class au festival Retours Vers le Futur proposé par les équipes d'Equinoxe Apollo et Ciclic Centre-Val de Loire. Pour plus de détails concernant cet évènement, contactez directement le cinéma Apollo de Châteauroux ou bien rendez-vous ici.

Robin Hunzinger est le fils de l'artiste et écrivaine Claudie Hunzinger. Après des études d'histoire de l'art à Strasbourg, Robin Hunzinger commence des études de cinéma à Jussieu avec Jean Douchet, Jean Rouch et Bernard Cuau. Au moment du début de la guerre en Bosnie, celui-ci l'encourage à partir à Sarajevo, ce qu'il fera en février 1993. C'est en 1996, toujours à Sarajevo, qu'il rencontre le producteur Bruno Florentin avec qui il écrit un film sur la ville Gorazde, "Psychogéographie d'une frontière" soutenu par l'UNESCO et le Documenty Fund de Soro Institut de New York. Il y aborde certaines thématiques qu'on retrouvera dans tous ses films suivants : la guerre, la frontière, la nature, l'homme face à l'impensable. Parmi ses principaux films, il faut citer, "Closing your eyes", "Où sont nos amoureuses", "L'insaisissable Albert Kahn" qui ont été présentés dans de nombreux festivals : Cinéma du réel (Paris), Etats généraux du film documentaire (Lussas), Festival international du film (Rotterdam), Festival de Beyrouth, FIGRA. 

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