Jérôme Minière, Haut Bas Fragile

Et si des images de l'Orléanais, tournées dans les années 60, 70, conservées par Ciclic Centre-Val de Loire, traversaient l'Atlantique ? Peut-être qu'elles rebondiraient sur les mots d'un artiste ? Sur ses battements de coeur ? Peut-être même qu'elles lui rappeleraient ses origines...

A l'époque des 80's où Jérôme Minière trainait ses rêves d'ado dans les rues d'Orléans, il jouait du piano, il composait des chansons, il dessinait, il grattait la guitare, chantait avec ses copains musicos et rêvait de faire du cinéma. Le Jérôme Minière d'aujourd'hui n'a pas beaucoup changé. A quelques différences près... Des mèches grisonnantes, des notes québécoises dans la voix, c'est sûr. Mais surtout, il a cumulé l'expérience de labels professionnels qui l'ont accompagné à partir de 1996 (d'abord Lithium puis La Tribu pendant 16 ans), il s'est installé à Montréal, et il partage sa vie et ses envies d'art visuel avec une artiste plasticienne, Marie-Pierre Normand.

Dans les années qui précèdent l'explosion Internet et la diffusion facile du self-made, le compositeur s'entoure de productions et de réalisateurs pour sortir des clips de façon "professionnelle" comme avec l'artiste Pascal Grandmaison (Les yeux autour de la tête) ou pour Rien à vous dire. Aujourd'hui il aime revenir à un travail de plus en plus personnel et artisanal, toujours en restant proche des arts visuels pour ses clips et ses spectacles qui sont de vrais one-man show mêlant musique, installations vidéo et comédie, à l'instar de La Vie en boîte. Il aime jouer avec les images et réalise ses propres montages à partir de films tournés par ses proches ou dénichés sur des banques d'images libres de droit (L'amour ça s'apprend pas par coeur).

Pour son dizième album sorti à l'automne dernier, Dans la Forêt numérique, quoi de plus naturel, donc, que de piocher dans sa propre mémoire filmée familiale, en composant un clip uniquement à partir des images tournées entre Ouzouer-le-Marché, Morée et Verdes (Loir-et-Cher), qui ont été confiées à Ciclic en 2007 et 2012. Rencontre avec le petit-fils de deux cinéastes amateurs de la région, qui nous invite au partage à travers le temps et les continents. 

 

Comment s'est passée ta rencontre avec les films amateurs de Ciclic ?

J’ai découvert Ciclic il y a quelques années déjà, parce qu’un de mes oncles avait déposé des films super 8 tournés par mon grand-père maternel Guy Chevallier sur le site. Comme il était décédé au début des années 80, je ne connaissais pas ou peu ses films, contrairement à ceux de mon autre grand-père, Gérard Minière, que j’avais déjà eu l’occasion de visionner avec lui et qui aujourd’hui se retrouvent aussi sur le site. Adolescent, je rêvais de faire une école de cinéma et j’ai commencé moi-même à tourner en super 8, j’ai donc pas mal échangé à ce moment-là avec mon grand-père, il m’a même prêté du matériel.

Toi qui es à la fois artiste vidéaste et compositeur, comment as-tu travaillé avec cette matière qu'est l'archive ?

Plus les années passent, plus cette matière me touche. Elle offre plusieurs dimensions : intime, familiale, anecdotique, mais aussi universelle, historique et sociale. Elles sont les traces vivantes, non filtrées, d’un temps révolu. En ce sens, le site de Ciclic est une vraie mine d'or. L’idée de mémoire m’obsède plus que par le passé. Je me considère moi-même comme cinéaste amateur, dans le sens où après avoir été diplômé de l’école de cinéma (l’INSAS à Bruxelles), j’ai plutôt bifurqué vers la musique. Par contre, la construction d’un récit et le montage de différentes sensations et émotions sont au cœur de mon travail, que ce soit avec des sons, des mots ou des images. D’une certaine manière, je ne fais que poursuivre humblement les récits initiés par mes deux grands-pères et leur façon de faire. Tous deux étaient des artisans impliqués dans leurs communautés respectives : Gérard était bourrelier et après la Seconde Guerre mondiale, il a dû « se recycler » dans les assurances agricoles, tandis que Guy était l’horloger du village, comme tous ses ancêtres depuis de nombreuses générations. Pour ce qui est du contenu, Gérard est plus social dans son approche, il n'hésite pas à filmer "la vie des paysans", tandis que Guy est plus intime, drôle et tendre. La chanson a été écrite avant d’être associée à ces images.

Pour reprendre un thème que tu as chanté dans ton titre « Rien à vous dire » : pour toi, que disent les films de famille et qu’ont-ils apporté à ton titre « Haut Bas Fragile » ?

Je crois que chacun peut se faire son propre récit. « Haut bas fragile » parle du temps qui a passé : ces images évoquent un monde révolu. Quelle émotion indicible de retrouver mon grand-père en jeune homme souriant, ou ma mère enfant puis jeune fille (à peu près de l’âge de ma fille aujourd’hui). Beaucoup sont maintenant décédés, et certain(e)s sont encore là. Ces images sont comme des racines qui sont restées dans le sol de la mémoire.

Le quotidien et les rites ont changé eux aussi. Par exemple, à ma connaissance, la « Cavalcade de Verdes » (le défilé de chars allégoriques et de majorettes dans le clip) n’existe plus. Le village, comme beaucoup d’autres, a perdu beaucoup de ses commerces, de ses jeunes et de ses activités sociales. 

J’habite loin, sur un autre continent et je n’ai donc que rarement l’occasion de me rendre sur les lieux, dans ces deux villages du Loir-et-Cher, distants de quelques kilomètres l'un de l'autre. Je crois que je veux simplement rendre hommage à des gens que j’aime et à cet univers rural que j’ai côtoyé enfant et adolescent, surtout les dimanches, lors de visites familiales (qui ne m’enchantaient pas toujours à l’époque). Nous habitions à trente kilomètres de là, à la ville, et le reste de la semaine, nous étions plutôt tournés vers la « modernité », pas vers le monde « ancien ».

Spectacle Duplicata, lors du Festival Phenomena, à Montréal, automne 2018. Copyright Caroline Hayeur.

 


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