Marie Dupont - bobine 6 - Suzanne

24/06/2019 Produit par : CICLIC Pôle Patrimoine Réalisé par : CICLIC Pôle Patrimoine En ligne le 11 Dec 2023
Orléans (45)

"Marie Dupont" est une série de 12 courts-métrages créée par Ciclic-Centre Val de Loire. Chaque dernier lundi du mois, sur son profil Facebook, Marie Dupont donne rendez-vous aux internautes pour suivre un épisode de sa vie, à travers les images d'archive de Ciclic et un texte qui l'accompagne.

"J'avais 3 ans quand tu m'as sauvée des ruades du cheval. J'avais 6 ans quand tu m'as tout appris des jeux et des joies. J'avais 12 ans quand tu me racontais tes histoires de grande. J'avais 16 ans quand tu m'as donné ton sourire pour me dire au revoir.

J'avais tous les âges quand tu me regardais avec amour, me protégeais, me guidais. J'avais tous les âges quand je voulais faire tout comme toi.

Tu avais 22 ans quand tu t'es engagée comme ambulancière. Tu en rêvais depuis toute petite. Tu voulais sauver des vies. Tu étais mon héroïne invincible.

Au printemps 1944 les bombardements alliés ont repris et il fallait renforcer les équipes d'urgence. Tu es partie pour Orléans. Tu t'imaginais rejoindre les Forces Françaises puis l'Armée ! Tu admirais toutes ces femmes volontaires depuis le début de la guerre, qui étaient sur les combats, qui conduisaient des camions ! A la mi-juillet tu es revenue une journée et malgré les horreurs du terrain tu étais plus déterminée que jamais ! Tu avais tant de ferveur ! Tu disais « Vous vous rendez compte ? On va y arriver ! bientôt j'irai rejoindre Paris, Leclerc arrive ! et vous savez ce que je vais faire ? je passerai par Chartres faire coucou à mamie et pépé ! » et tu riais.

Je revois les yeux de maman qui te suppliaient de rester. Et papa, perdu entre inquiétude et fierté.

20 juillet 1944. Carrefour Madeleine. Ton équipe tente d'évacuer des civils après un bombardement. Une seconde attaque s'abat sur vous. Par milliers de bombes. Elle s'est abattue sur vous. Rue du faubourg Madeleine. Des milliers de bombes.

Ici et là, on acclamait les sauveurs, on dansait, on s'embrassait dans les rues. Ailleurs, d'autres combattaient encore, tremblaient de terreur, pleuraient leurs sacrifiés, payaient toutes les vengeances. Comment pouvais-je me mêler à cette foule ? Je n'entendais que les sirènes hurler dans mes oreilles et dans mon cauchemar. Suzanne, ensevelie de pierres, étouffant de poussière, sous les flammes, brûlée, jeune femme broyée, déchiquetée.

Partout la liesse, les défilés, les fanfares. Partout je te cherchais. Suzanne !

Mes larmes crispaient mes yeux d'effroi. Mon coeur devenait enclume. Mes jambes avaient déjà cédé. Aucun son ne sortait de ma bouche. La douleur trop lourde et trop épaisse ne pouvait évacuer. Je la sentais se diffuser jusqu'à ma peau sans pouvoir en sortir. Elle envahissait toutes mes veines. Elle se comprimait et m'étouffait. Je croyais mourir de peine.

Faubourg Madeleine.

Parfois, il m'arrive encore de te chercher. Et j'entends tes rires résonner. Derrière moi, devant, à cette fenêtre.

Où es-tu Suzanne."

Commentaires

Orléans. Vues de désolation sur la Place du Martroi ravagée.

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