Rencontre avec Bernard Buffet

Ciclic poursuit la mise en valeur des images d'art de ses collections. En écho à la rétrospective Bernard Buffet au Musée d’art moderne de la Ville de Paris et l'exposition du Musée Montmartre, « Bernard Buffet, intimement », nous vous proposons ces images tournées par Joseph Forêt, éditeur d’art et cinéaste amateur.

Joseph Forêt, en parallèle de ses nombreuses activités d’éditeur d’art, s’attacha à conserver des images de ses nombreuses rencontres artistiques. Cet autodidacte passionné sut approcher les artistes et les filmer : les tous premiers instants immortalisés sont ceux passés avec Pierre Bonnard et Anré Marchand juste après-guerre à Saint-Tropez, avec une caméra 8mm.

C'est en 1958 que Joseph Forêt collabore pour la première fois avec Bernard Buffet, sur Les voyages fantastiques de Cyrano de Bergerac, pour lequel l'artiste réalise 18 gravures. A ce moment-là, le génie de l’artiste-peintre, tout juste 30 ans, est déjà consacré par une rétrospective qui attire plus de cent milles personnes à la galerie Charpentier.

Un succès fulgurant

Né à Paris en 1928, Bernard Buffet révèle un talent précoce : admis à l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts en 1943 grâce à une dérogation en raison de son jeune âge, il enchaîne les succès dès l'exposition de sa première toile en 1947, Autoportrait, au Salon des moins de trente ans. Puis c'est L'homme accoudé qui reçoit un succès critique au Salon des Indépendants et au Salon d'automne .

Bien que Bernard Buffet n'ait jamais été exposé par les institutions françaises durant son vivant (il aura tout de même un fauteuil à l'Académie des Beaux-Arts en 1974), c'est l'Etat qui lui achète sa première toile : Raymond Cogniat acquiert Le coq mort pour le Musée National d'Art Moderne en 1947.

Puis ce sont les marchands d'art qui se passionnent pour le jeune peintre : le collectionneur Maurice Girardin et les galeristes Emmanuel David et Maurice Garnier se disputent ses toiles, alors qu'il remporte le Prix de la Critique d'Art (partagé avec Bernard Lorjou) à seulement 20 ans. A partir des années 1950, il est présent dans de nombreuses galeries à travers le monde : New York, Londres, Bâle, Copenhague, Genève...

Fraichement débarqué à Paris, Pierre Bergé, jeune entrepreneur de 20 ans dans le domaine des arts et de la littérature, qui fréquente déjà des grands écrivains comme Prévert ou Camus, Cocteau ou Sartre, tombe passionnément amoureux du peintre et va l'accompagner pendant huit années vers la fortune et la célébrité. En 1955, la revue Connaissance des Arts lui attribue la première place parmi les dix meilleurs peintres de l'Après-Guerre et en 1958, c'est le triomphe à travers une rétrospective de son œuvre à la galerie Charpentier, à tout juste 30 ans.

Cette consécration est suivi d'un grand bouleversement : les deux hommes, qui ne se sont pas quitté une seule journée pendant huit ans, se séparent. Bergé a le coup de foudre pour Saint-Laurent, et Buffet rencontre Annabel.

Annabel Schwob (1928-2005), mannequin et chanteuse fréquentant l'élite intellectuelle de Saint-Germain-des-Prés, tombe sous le charme du peintre en 1958 à Saint-Tropez et devient immédiatement sa muse. Ils se marient quelques mois plus tard et la jeune femme commence une carrière d'écrivain en publiant son premier roman, Comme tout le monde.

Bernard Buffet rencontre l'Apocalypse

Entre 1959 et 1961, Joseph Forêt entreprend son plus grand projet d’édition : un livre-monument, unique, le plus grand, le plus lourd, le plus cher du monde réalisé entièrement sur parchemin. L'Apocalypse de Saint Jean est une édition des textes de Saint-Jean (selon la traduction de l'école biblique de Jérusalem) entièrement calligraphiés à la main, illustrés par des œuvres originales de Salvador Dali, Bernard Buffet, Tsugouharu Foujita, Léonor Fini, Georges Mathieu, Pierre-Yves Trémois et Ossip Zadkine. Les artistes Ernst Fuchs, Roger Lersy et Michel Ciry viennent illustrer les textes originaux de Jean Cocteau, Jean Rostand, Daniel-Rops, Jean Guitton, Emil Cioran, Jean Giono et Ernst Jünger. Cette oeuvre monumentale a fait le tour du monde pendant une dizaine d'années avant de tomber mystérieusement dans l'oubli...

« Puis voici qu'un agneau apparut à mes yeux, il se tenait sur le mont Sion, accompagné de cent quarante-quatre milliers de gens portant inscrits sur le front son nom et le nom de son Père. » (trad. Ecole biblique de Jérusalem). Cet extrait est tiré du chapitre 14 de l'Apocalypse, choisi par le peintre pour cette seconde collaboration avec Forêt.

Parmi les rushes du film amateur que Joseph Forêt a réalisé pour témoigner du travail exceptionnel que ce livre-monument a représenté, on voit l'artiste prenant la pose devant l'une de ses trois illustrations, Saint-Jean (il réalisera aussi L'agneau écorché et L'Agneau de Lumière). Bien que l'apôtre soit auréolé de lignes de lumière, ses traits noirs et anguleux montrent un visage austère et décharné fidèle au style du peintre. La beauté transparente de ce support exceptionnel qu'est le parchemin est mise en valeur par le cinéaste qui filme le dos de la toile, éclairée sur le devant.

Achetée en 1956, sa propriété Château-l'Arc (à Fuveau, Bouches du Rhône) sera la résidence principale de Bernard Buffet jusqu'en 1964. Il y a créé son atelier, peuplé d'outils et de tubes de peinture entassés, traversé par une gazelle apprivoisée, donnant sur la parc et sa bergerie, et surtout, pleinement habité par Annabel. L'artiste est ainsi filmé tel qu'il vivait en 1961, avec ses deux passions mêlées : la peinture et sa muse. C'est aussi à ce moment-là qu'il signe une exposition intitulée "Trente fois Annabel".

Juste après l'aventure de l'Apocalypse, Bernard Buffet a entrepris la réalisation de fresques représentant la vie du Christ dans la chapelle du château. Ces peintures ont été léguées au musée du Vatican par Buffet en 1971, à la demande de Monseigneur Pasquale Macchi, secrétaire du Pape Paul VI.

Né en 1901 dans le Puy de Dôme, Joseph Forêt est un aventurier du XXe siècle. Orphelin dès l’âge de 5 ans, élevé par sa grand-mère dans une pauvreté certaine, il quitte très vite sa ville natale pour vivre de petits boulots aussi divers que précaires. En 1941, il vit du négoce de timbres et se lance dans l’édition d’art avec plusieurs ouvrages de qualité pour les enfants, une revue philatélique, et l’édition de cartes postales. C'est à partir des années 50 qu'il se lance dans l'édition de livres d’art à tirage limité : ses débuts remarquables le font collaborer avec Picasso pour Les Cavaliers d'ombre de Geneviève Laporte. Puis il collabore avec des grands noms comme André Maurois, Maurice Utrillo, Cécil Saint-Laurent, Salvador Dali, Jean Cocteau...

Le fonds Joseph Forêt : Mémoires écrits à la fin de sa vie. Dossiers et documents manuscrits ou tapuscrits composant les mémoires de Joseph Foret, illustrés de nombreuses photographies, coupures de presse, documents divers, correspondance, films. Archives conservées par Mme Broutta, collaboratrice de J. Foret de 1957 à 1965 et données à la Ville d’Issoudun en 2013.

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