Georges Mathieu, dans l'intimité de sa maison

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Ciclic poursuit la mise en valeur des images d'art de ses collections et vous invite à rencontrer Georges Mathieu. Gloire médiathique, Paris Match lui consacre de multiples reportages. En 1963, il illustre une superbe campagne publicitaire pour Air France. En 1973, il crée le revers d'une pièce de 10 francs et en 1975, illustre le nouveau logo d'Antenne 2.

Celui qu'André Malraux nomme en 1951 "le calligraphe occidental", se lance dans la peinture en 1942, âgé d'une vingtaine d'années, et devient vite le chantre de "l'abstraction lyrique" en réaction aux formes classiques et régulières de l'art abstrait géométrique (travaillé entre autres par Piet Mondrian, Francis Picabia ou Fernand Léger). Georges Mathieu se libère de ces contraintes et promeut une création uniquement dictée par l'émotion, dans un geste rapide et instinctif.

Remarqué en 1947 dans plusieurs salons et galeries, où certains critiques d'art le défendent en même temps qu'il en déconcerte d'autres, l'artiste surprend par son approche calligraphique qui s'inspire notamment de la calligraphie orientale. Tout en continuant d'alimenter de violentes confrontations avec la peinture figurative lors d'expositions collectives et conférences (avec le soutien d'autres peintres comme Jackson Pollock ou Otto Wols), ou par l'écriture de textes manifestes (voir la querelle avec André Breton, grand théoricien du surréalisme), Georges Mathieu enchaîne rapidement les expositions particulières, en France puis à travers le monde. Il offre alors sa peinture en spectacle à travers « l'action painting » où la spontanéité du geste est mise en valeur. Il triomphe à Tokyo en 1957 en réalisant des peintures de 15 mètres devant le public, et des rétrospectives de ses œuvres sont organisées à partir de 1959, en Suisse, en Allemagne, à New-York et à Paris.

C'est donc un artiste controversé mais en pleine gloire que Joseph Forêt sollicite pour son plus grand projet d'édition, l'Apocalypse de Saint-Jean, une livre-monument qui fera le tour du monde pendant la décennie 1960, avec un casting génial et hétéroclite qui réunit entre autres Salvador Dali, Jean Cocteau, Foujita, Jean Giono, Daniel-Rops ou encore Bernard Buffet. Dans le film de long-métrage consacré à cette aventure, l'éditeur d'art décrit Mathieu comme "le décrié, le suspect, le fou, le grand, le démentiel, le spectaculaire, l'abstrait lyrique, l'acteur de ses oeuvres, le peintre français le plus exposé dans le monde, exposé dans les musées en même temps qu'au quolibet".

Peintre lyrique, acteur et graveur

 Parmi les images qui n'ont pas été choisies pour le montage final, on découvre Georges Mathieu mis en scène par Joseph Forêt, dans son hôtel particulier de Neuilly. Pour l'occasion, l'artiste a revêtu un kimono clinquant et accueille l'éditeur dans une décoration faite de rideaux ocres et rouges, de bustes tournés face aux murs, de boiseries sculptées, et de photographies et œuvres du peintre. Si le geste spontané est revendiqué dans la peinture abstraite lyrique dont Georges Mathieu est devenu le maître, il n'en demeure pas moins qu'un besoin de mise en scène théâtrale existe avant, pendant et après la création. L'artiste se montre rapide mais précis dans l'installation de sa table de travail, dans le choix de ses plumes et l'alignement de ses encres, garde son costume d'apparat malgré la gêne provoquée par ses larges manches, se plonge dans un état de concentration presque cérémonial, puis apparaît sur son lit, absorbé et grave dans ses méditations. Même si Joseph Forêt met tout en scène, la caméra permet de capter le processus de création au plus près, bien plus près que ce qui peut se dégager des happenings où Mathieu aime peindre devant le public.

Après la création instinctive, place à la réflexion et la reproduction : pour l'édition des sept exemplaires de l'Apocalypse, Mathieu a gravé sur cuivre pour la première fois.  On le voit ici se rendant chez l'un des plus talentueux graveur de l'époque, Jacques Frélaut, à l'atelier Lacourière-Frélaut en plein cœur de Montmartre. D'après une trentaine d'épreuves, Forêt et lui en ont choisi trois. Tout comme les trois œuvres réalisées sur parchemin à la peinture et à l'encre pour lesquelles Mathieu a réalisé de nombreuses peintures avant d'aboutir à trois œuvres pour illustrer le texte biblique La chute de Babylone. Loin de l'image caricaturale de l'abstraction lyrique qui serait uniquement fondée sur une création rapide, instinctive et unique, Mathieu dévoile ici que des essais, des reproductions, le temps nécessaire à la réflexion, la mise à distance et le travail collectif avec un éditeur ou un graveur peuvent aussi faire partie de son art.

D'autres images seront bientôt à découvrir dans la version complète du film sur l'Apocalypse : le geste de la plume de Mathieu qui glisse sur le parchemin, le choix des couleurs et l'encrage des cuivres à l'atelier Lacourière-Frélaut...

Né en 1901 dans le Puy de Dôme, Joseph Forêt est un aventurier du XXe siècle. Orphelin dès l’âge de 5 ans, élevé par sa grand-mère dans une pauvreté certaine, il quitte très vite sa ville natale pour vivre de petits boulots aussi divers que précaires. En 1941, il vit du négoce de timbres et se lance dans l’édition d’art avec plusieurs ouvrages de qualité pour les enfants, une revue philatélique, et l’édition de cartes postales. C'est à partir des années 50 qu'il se lance dans l'édition de livres d’art à tirage limité : ses débuts remarquables le font collaborer avec Picasso pour Les Cavaliers d'ombre de Geneviève Laporte. Puis il collabore avec des grands noms comme André Maurois, Maurice Utrillo, Cécil Saint-Laurent, Salvador Dali, Jean Cocteau...

Le fonds Joseph Forêt : Mémoires écrits à la fin de sa vie. Dossiers et documents manuscrits ou tapuscrits composant les mémoires de Joseph Foret, illustrés de nombreuses photographies, coupures de presse, documents divers, correspondance, films. Archives conservées par Mme Broutta, collaboratrice de J. Foret de 1957 à 1965 et données à la Ville d’Issoudun en 2013.

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