Le 16 mm : un siècle de cinéma en format réduit (1923-2023)

2023 est l'année de la célébration des 100 ans d’existence du format de pellicule 16 mm lancé par la firme Kodak en 1923. Il s'agit d'un format qui a favorisé un essor considérable du cinéma, aussi bien dans sa pratique et que dans le développement de la connaissance et de la culture cinématographique.

Historiquement, la  pellicule cinématographique 16 mm a été lancée en 1923 par la Eastman Kodak Company de New York.  Il s'agit d'un format plus petit, moins, cher et ininflammable (car en acétate de cellulose) comparé au format standard de pellicule 35 mm sur support en nitrate de cellulose [1]. Le premier ensemble vendu dans le commerce aux États-Unis était composé d'une caméra muette, d'un projecteur et d'un trépied. Le tout coûtait 335 U.S. Dollars.

D'un point de vue du support physique, le format 16 mm film était à l'origine une pellicule à double perforation, située au niveau de l’interimage. Avec l'arrivée du son (optique ou magnétique) en 1935, le format a évolué en supprimant une rangée de perforations pour n'en laisser qu'une.

Le 16 mm était disponible en pellicule inversible (notamment pour les cinéastes amateurs) afin d'économiser sur les coûts de développement. Il existait aussi en pellicule négative, internégative et interpositive (essentiellement pour les cinéastes professionnels du cinéma et de la télévision) afin d'avoir des éléments intermédiaires de conservation et de tirage. Esthétiquement, le film 16 mm possède une image avec plus de grain que son ainée, la pellicule 35 mm et offre un ratio d'image 1:33 ou 4/3.

D'autres variantes du format de pellicule 16 mm ont existé comme le Super 16 mm, Super 16 ou 16 mm Type W. Il s'agit d'une adaptation du ratio d'image 1:66 (ou "format Paramount") au film 16 mm. Il a été développé par le directeur de la photographie suédois Rune Ericson en 1969 en réduisant la pellicule à une seule rangée de perforation pour profiter d'une surface d'image élargie. Le Super 16 mm est connu pour avoir été utilisé lors de "gonflage 35 mm", afin de passer d'un film tourné en 16 mm à un film 35mm.

D'un point de vue général, le format 16 mm a connu un essor mondial manifeste [2]. Il a réussi à remporter l’adhésion des professionnels (télévision, cinéma), des milieux scolaires et scientifiques (écoles, universités), des particuliers (cinéastes amateurs) et des milieux associatifs (ciné-clubs). En France, même s'il a connu le succès auprès de certains cinéastes amateurs aisés, il est resté en retrait par rapport aux autres formats de pellicule comme le 8 mm, le 9,5 mm et le Super 8, dont le matériel de prise de vues était plus léger, moins volumineux et surtout moins cher.

Aux États-Unis, le 16 mm fut utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale par les soldats américains de la SPECOU (Special Coverage Unit), chargés de filmer le débarquement et de récolter toutes les preuves par l’image de crimes de guerre et d’atrocités lors de la Libération en Europe . Toujours aux États-Unis, le 16 mm s'est étendu ensuite au cinéma professionnel après la guerre avec le tournage et la diffusion de films gouvernementaux, commerciaux, médicaux et industriels de 1950 à 1960.

En France, les professionnels, notamment la presse filmée (1940-1969) [3] puis ensuite la télévision française, ont adopté le 16 mm comme format de tournage. Après la Seconde Guerre mondiale en France, les ciné-clubs connaissent un mouvement social et culturel sans précédent. Les films de répertoire, dont les copies sont projetées en 16 mm, ont permis le développement d’une connaissance et d'une culture cinématographique [4], et suscité des vocations comme critiques de films et/ou cinéastes professionnels (ex : la revue Les Cahiers du cinéma ou encore les cinéastes de La Nouvelle Vague comme Jean-Luc Godard, dont le film A bout de souffle a été tourné en 16mm).

Dans les années 1960, c'est la grande mode des scopitones, jukeboxes associant l'image au son. Tournés et projetés en 16 mm, ils remportent un grand succés auprès du public français.

En France, comme aux États-Unis ou en Angleterre, les années 1960/1970 signent l'avènement de la télévision. Le film 16mm reste toujours largement utilisé pour les journaux télévisés, reportages et les autres productions télévisées.

Malgré le tournant de la vidéo analogique puis plus tard de la vidéo numérique dans les années 2000, le Super 16 mm a continué à être utilisé pour le tournage de séries ou de films comme The Walkind Dead, Sex and The City (première saison) ou Buffy contre les Vampires (deux premières saisons). En 2020, les séquences de flashback du film Da 5 Bloods de Spike Lee (produit par Netflix) ont été tournées en 16 mm.

A l'heure actuelle, les seuls fournisseurs de film inversible et/ou de négatif couleur 16 mm sont Kodak et Orwo. Agfa et Fuji ont fermé leurs usines de fabrication de films dans les années 2010. Les films noir et blanc  sont toujours produits par Foma et ORWO/Filmotec. En avril 2023, ORWO/Filmotec a commencé à vendre un nouveau film négatif couleur.

L'histoire du 16 mm continue...


[1] Il existe quelques cas de films 16 mm sur support en nitrate de cellulose produits par la marque italienne de pellicule Ferrania. Do you have any 16mm nitrate films in your  collections ? The Case of Ferrania materials in the San Paolo Film Collection at the Museo Nazionale del Cinema in Turin / Sabrina Negri, Luca Giuliani (Journal of Film Preservation - n°84 (avril 2011) - p. 33).

[2] "Pour mesurer son omniprésence, il faut considérer qu'en 1959, environ 596 000 projecteurs 16 mm étaient utilisés aux États-Unis ; en 1966, ce nombre était passé à 934 000, dont presque tous se trouvaient à l'extérieur du domicile familial". Celebrating a Rich History / https://centuryof16mm.com/?page_id=33

[3] De 1940 à 1969, la presse filmée était l’unique source d’images destinée au grand public. Diffusée dans les cinémas, elle informait les spectateurs de l'actualité de la guerre ou des informations du moment.

[4] La culture cinématographique du mouvement ciné-club : une histoire de cinéphillies (1944-1999) » / Léo Souillés-Debats / https://hal.univ-lorraine.fr/hal-01622269



Ci-dessus trois films tournés en 16 mm par différents cinéastes. Du haut vers le bas : le film 16 mm muet couleur tourné par le cinéaste amateur Hector Gablin lors de l'ensilage du maïs sur son exploitation agricole à Brion dans l'Indre au début des années 1950 ; Cinémalgie, une fiction en 16 mm sonore semi-professionnelle (ou semi-amateur, selon le point de vue) tournée par le caricaturiste Piem dans les années 1960 ; Turbulence, film 16 mm sonore du cinéaste professionnel Maurice Huvelin tourné à la fin des années 1980.