Un cinéaste amateur filme la "Drôle de Guerre"

Peu de cinéastes amateurs ont décrit en images l'atmosphère étrange des mois qui suivirent la déclaration de guerre en septembre 1939. Roger Prenois a filmé cette période et nous propose son "carnet de route", entre Paris et ses différents cantonnements. 

Originaire du Berry, Roger Prenois a toujours vécu en région parisienne, exerçant plusieurs métiers dans le domaine du cinéma (projectionniste, exploitant itinérant).

Il est mobilisé en 1939 et tourne en 16 mm tout au long des premiers mois de la guerre. C'est probablement dans le courant de l'année 1940 qu'il réalise "Carnet de route", à partir de toute cette matière filmée, pour rendre compte de sa vie de soldat jusqu'en avril 1940

La première scène évoque le départ. Notre personnage prépare sa valise. Il montre très ostensiblement qu'il laisse sur place deux grands romans pacifistes qui dépeignent les horreurs de la Grande Guerre : Le Feu d'Henri Barbusse et Les Croix de bois de Roland Dorgelès. Les deux textes n'auront malheureusement pas empêché un nouveau conflit... 

Avant le départ, Roger Prenois filme Paris, des terrasses vides, les bouquinistes, mais aussi les premiers signes de la peur des bombardements et des explosions : des vitrines renforcées par des bandes de papier (ou d'adhésifs) et des sacs de sable pour protéger les statues des façades de l'Opéra Garnier (voir vers 2:47). 

Nous suivons ensuite les soldats qui rejoignent leur régiment d'affectation en train, puis la vie quotidienne s'organise sur cette base aérienne encore à identifier, avec les corvées du quotidien - la lessive - et les blagues de potache (vers 4:05).

En décembre, Roger Prenois est envoyé dans un cantonnement de montagne, puis dans un autre lieu, en campagne. Chaque fois, la guerre paraît lointaine : il filme le froid, la glace, les moments d'attente, les jeux de cartes et la correspondance avec les proches, la boue, les repas peu ragoûtants servis au village d'à-côté...

Une permission lui permet de rentrer à Paris et de filmer la capitale quelques mois avant l'invasion allemande : des boutiques fermées, des façades entièrement recouvertes de sacs de sable, des magasins qui vendent des fournitures aux soldats (des sacs de couchage), les spectacles et les films, dont "Après Mein Kampf, mes Crimes" d'Alexandre Ryder, dont les slogans s'affichent encore en façade : "les sinistres besognes de la Gestapo", "la sanglante St. Barthélémy allemande"... 

Dans la dernière séquence, Roger Prenois repart "en campagne", après 10 jours de permission. En sortant son paquet de cigarettes, il retombe sur quelques tickets du métro parisien, qu'il abandonne sur le sol pour nous montrer que la parenthèse est bien finie... 

Le film s'achève en avril 1940. Roger Prenois ne fait aucune allusion aux événements qui vont suivre : la déroute prochaine de l'armée française et l'invasion allemande de juin 1940... Aurait-il monté ce film au moment même de sa permission ?

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