Mai 68 vu par les cinéastes amateurs

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Mai 68 n'a pas été seulement filmé par la télévision et les actualités filmées, mais aussi par des opérateurs indépendants qui vont évoluer dans les rues, les usines, caméras à la main. Etudiants, techniciens ou cinéastes amateurs vont prendre part aux événements en enregistrant une trace de leur déroulement.

Pour les chercheurs, historiens, sociologues ou anthropologues, les films amateurs constituent des documents passionnants, en terme de regards, de formes, de pratiques et d'imaginaires, des témoignages volontaires ou inattendus, enjeux d'ordre social et politique, autant de discours complexes à déchiffrer. Les 1400 heures visibles sur Mémoire en témoignent largement. La caméra amateur a d'ailleurs pu paraître, jusque dans les années 1980, comme un espace de liberté notamment pour les militants de gauche et d'extrême gauche.

Ces images amateurs s'inscrivent dans un contexte particulier et répondent d'une certaine manière aux images de la télévision, même si cette dernière est en proie aussi au blocage. Les images de barricades, les rassemblements de masse, les prises de paroles, le drapeau rouge vont entrer dans leur univers visuel. Les ouvriers utilisent leur savoir-faire de cinéaste amateur pour immortaliser les évènements en région. C'est le cas de Jean BUrmann à Tours, de Camille Malinguaggi à Chalette-sur-Loing, de Camille Bazin à Châteauroux, de Gilbert Bourdeau ou de Maurice Hequet à Fleury-les-Aubrais.

   

Leurs points de vue sont différents mais rendent bien compte des diverses aspects de la grève. Ils ont déjà une pratique du cinéma à travers leurs films de famille. Les films sont en couleurs et en 8mm, format inventé en 1932, ce qui démontre bien une pratique antérieure. Le format Super8 commence à peine à se populariser depuis que Kodak l'a mis sur le marché en 1965. La vision d'images en couleur de 68 peut séduire l'oeil du spectateur d'aujourd'hui car elles s'opposent aux images en noir et blanc, de films institutionnels ou d'opérateurs indépendants professionnels qui travaillent en noir eet blanc. Les fameux drapeaux rouges qui fleurissent dans les manifestations ou sur le toit des usines retrouvent ici toute leur force.
Le mouvement se déclenche dans la région Centre-Val de Loire à aprtir du 14 mai 68, la province va devancer Paris et se mettre en grève à Nantes (44 - Sud Aviation) puis à Cléon (76 - Usine Renault), Flins (78 - Usine Renault). La mobilisation des travailleurs porte sur des revendications salariales et sur la reconnaissance du droit syndical. Deuxième quinzaine du mois de mai, le mouvement de grève s'intensifie, c'est cette période que couvre l'ensemble des films présentés.

Si Jean Burmann s'attache à suivre les manifestations et rendre compte dasn le détail des différentes entreprises et administrations en grève, Maurice Hequet et Camille Malinguaggi filment leurs camarades, les blocages et les négociations. La vie dans l'usine occupée ou "comment s'occuper dans une usine qui ne produit plus", réunions de masse, jeux de boule, bronzette ou chaîne humaine pour bloquer les portes de l'usine avec des parpaings.

Ces films rares, filmés de l'intérieur par des ouvriers et non par des opérateurs extérieurs, font penser aux actions du groupe Medvedkine à Besançon et Sochaux entre 1967 et 1975 puis des travaux d'Armand Gatti entre 1975 et 1977 à Montbéliard, "Le Lion, sa cage et ses ailes", films où les travailleurs prennent la caméra et la parole pour parler de leur vie, de leurs projets, de leurs revendications et de leurs espérances.

Sébastien Layerle, maître de conférences à Paris 3, proposait le 16 mai dernier pour clore l'exposition Les murs ont la parole du Musée de la Vallée de la Creuse à Eguzon (mise en place par l’ASPHARESD), une ciné-conférence à partir des films amateurs tournés durant les événements de Mai 68 en région Centre-Val de Loire et conservés par Ciclic. Le texte qui précède est inspiré de sa conférence qu'il terminait par cette citation de Patricia Rodden Zimmermann, tirée de l'ouvrage collectif Le cinéma en amateur (Communications, n°68.1999. p.291) :  « Préserver, restaurer, analyser et produire du film amateur c’est sauvegarder les petites entités d’intimité culturelle de l’éradication. C’est être du côté de la démocratie, plutôt que des lobbies. C’est proclamer que ces images banales, sans intérêt, provenant de la quotidienneté, sont aussi importantes que les images de rois, de reines, d’armées ou de stars ; c’est préserver ce qui fait vraiment histoire et ce qui réellement importe le plus. »

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