Les lavandières en région Centre-Val de Loire

Il y a bien un personnage qui ne pourra plus jamais être filmé ou photographié, c’est celui de la lavandière. Heureusement pour nous et notre mémoire, des cinéastes amateurs ont capté quelques images de cette activité ancestrale qui a disparu progressivement dans la première partie du 20ème siècle.

Il n’y eut que très peu d’évolution en matière de lessive avant l’avènement de la machine à laver électrique dans les années 50. Cette activité très longue et pénible physiquement, se déroulait deux à trois fois par an, pour laver tout le linge de la maison : draps, torchons, vêtements, habits de travail. Ces « grandes buées » étaient faites par toutes les jeunes filles et femmes du village dans des immenses baquets ou cuviers en bois qu’elles louaient pour l’occasion chez le tonnelier. Ces trois journées étaient surnommées « L’enfer, le purgatoire et le paradis » pour les trois étapes distinctes de trempage, lavage et rinçage. Le lavage était opéré à la cendre, avant l’apparition des poudres à laver et du savon. Les familles les plus aisées employaient des lavandières professionnelles qui elles-mêmes s’entouraient parfois de laveuses, blanchisseuses, repasseuses... 

Au début du XXème siècle se répand une invention qui facilitera grandement plusieurs étapes et qui rendra la lessive plus fréquente et individuelle : la lessiveuse. Cette machine permet de faire bouillir le linge, et même si elle facilite le lavage des grandes pièces de linge blanc, les femmes ont continué à se rendre au lavoir ou à la rivière pour brosser les taches et laver le linge délicat ou de couleur.

Frotter et rincer au lavoir

C’est ainsi qu’entre les années 20 et les années 60, il n’était pas rare de croiser encore une femme en tablier portant du linge mouillé à même les bras, comme dans les ruelles de Châteauroux, ou dans une brouette, comme à Argenton-sur-Creuse. Ces images sont des témoignages inédits montrant les dernières femmes faisant la lessive à la main ou venant rincer le linge lavé préalablement à la lessiveuse.

La plupart des lavoirs étaient publics et construits directement sur un cours d’eau. D’autres étaient alimentés par une fontaine comme à Avezé dans le film de Paul Masson. Certains lavoirs de campagne étaient rudimentaires, sans toits et juste équipés d’une pierre inclinée qui sert à brosser et battre le linge, comme à Sens-Beaujeu dans le film de Bernard Vattan. Dans les deux extraits du film sur Châteauroux de Pierre Reignoux, on distingue de nombreux petits lavoirs privés alignés les uns à côté des autres et un autre lavoir très bien aménagé avec des tonneaux encastrés dans le sol ou "basseaux", comme au lavoir des Cordeliers.

Ces lavoirs de ville font partie intégrante du décor de la cité et de ses activités : c'est dans ce cadre que les lavandières sont filmées généralement lorsque les cinéastes proposent un documentaire dressant le portrait d’une ville, comme à Châteauroux mais aussi à Chartres, où Gérard Frétigné filme les ponts et les rivières comme éléments d'architecture, et tombe, par chance, sur des lavandières (les lavoirs s'étendaient alors sur 1,5 km sur les deux bras de l'Eure). A Châtillon-Coligny, l'extrait fait également partie d'un film témoignant de l'identité de la ville et il est davantage axé sur la multitude des activités et des travailleurs, entre la tonte d'un cheval et la maçonnerie d'une maison.

Dans son magnifique portrait de Bourges, Henri Malvaux filme lui aussi le lavoir comme élément d'activité de la ville mais s'attarde ensuite plus précisémment sur le travail des lavandières en filmant plusieurs d'entre elles dans leurs gestes difficiles et répétitifs. On peut alors distinguer aisément le matériel et les techniques. Agenouillées dans un cabasson en bois couvert de paille, elles frottent le linge au cube de savon et avec une brosse dure, le rincent puis le battent avec le battoir en bois et l'essorent. C'est le savoir-faire et la difficulté de la tâche qui sont mis en valeur par la caméra.

               

 A la campagne : de la besogne au pittoresque

C'est sous ce même point de vue que Bernard Vattan filme les deux lavandières de Sens-Beaujeu : les gestes sont soulignés en plan serré, et la scène est insérrée dans une séquence sur le travail à la ferme. Tout comme Pierre Chaillou qui filme les activités de la ferme familiale à Marchéville, ou Jean Rousselot filmant le quotidien de plusieurs familles dans le hameau de Bois-Naudouin, on filme le milieu rural, où les femmes rincent le linge directement à la rivière quand les lavoirs sont à plusieurs kilomètres de là.

Ces images peuvent prendre alors une tournure bucolique lorsque le cinéaste recherche l'esthétique d'une lumière d'automne ou d'un cadre mettant en valeur le paysage de campagne comme André Rioton dans "Suite d'Automne" en Beauce, ou le parisien André Petit en vacances à Saint-Florent-sur-Cher, qui filme, au gré de ses promenades en plein air, des pêcheurs, un troupeau de vaches, un paysan sur sa charrette, et une lavandière. Enfin, c'est véritablement en carte postale que Gabriel-Louis Guiet filme une lavandière sur les bords du Cher à Mennetou, en faisant prendre la pose à sa femme et une amie à côté de la vieille laveuse imperturbable.

En opposition à tous ces points de vue, la caméra de Charles Marioton ne s'attarde pas sur les lavandières : sa fille qui joue au bord d’un étang dans la Nièvreest le sujet de la séquence. Les vieilles lavandières coiffées de leur chapeau et en robe traditionnelle sont en arrière-plan, probablement parce qu'en 1927, le lavage du linge en rivière était très banal... Ou bien, est-ce pour éviter le fort contraste entre l'enfant accompagnant les lavandières, qui s'affaire à laver ses vêtements, et cette fillette de bonne famille, élégamment vêtue et toute à son insouciance.

A ce jour, nous n'avons pas retrouvé de film amateur sur toutes les étapes de la lessive, que ce soit lors des grandes buées ou en lessiveuse. C'est grâce au film de Jean-Claude Laporte, "Lessive à l'ancienne à Ardenais", que tout ce savoir-faire est transmis et commenté par des femmes qui ont conservé le matériel et rejouent ces scènes devant la caméra ou lors de fêtes paysannes.

Les machines à laver à manivelle existaient déjà au 19ème siècle mais il faut attendre l'arrivée de l'électricité dans les foyers pour que les lave-linge tels que nous les connaissons aujourd'hui soient commercialisés. Découvrez ce film étonnant tourné vers 1950 à Tours, où un industriel fait la promotion de sa "Machine à laver Etra, la meilleure, la moins chère".

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