Fontevraud, la lutte oubliée

Dans les années 1960, un groupe de lycéens chinonais forment le groupe « Zone Libre » et réalise quelques films en 8 mm. Quand commence la fronde du Larzac, les lycéens sont devenus des adultes et découvrent la résistance de leurs voisins paysans contre l’extension du camp militaire de Fontevraud…

Des bancs du lycée à l'engagement militant

C’est l’histoire d’une bande d’amis qui se rencontre sur les bancs du lycée au collège Rabelais à Chinon. Ensemble, ils créent en 1964 un journal lycéen qu’ils intitulent « Zone libre » pour porter un regard satirique sur leur établissement. « Zone libre » devient également le nom du groupe qu’ils forment pour tourner, chaque été, une fiction collective en 8 mm.

Après le bac, la petite douzaine de membres de « Zone Libre » s’éparpille, travaille, étudie… Au moment où la lutte des paysans du Larzac commence à être relayée par les médias, en 1972, la petite bande découvre qu’un combat est aussi engagé par des agriculteurs de dix communes qui jouxtent le camp militaire de Fontevraud. Des milliers d’hectares sont convoités par le Ministère de la Défense qui met alors en place un vaste plan d’extensions des camps militaires en France (au Larzac, dans le Sud à Canjuers, à Saint-Maixent et à Fontevraud). Les anciens lycéens deviennent ainsi des militants actifs de la cause des paysans du Maine-et-Loire, d’Indre-et-Loire et de la Vienne (l’extension concerne trois départements). Ils participent à des réunions, des manifestations, conçoivent et placardent la nuit des affiches irrévérencieuses envers le ministre de la Défense Michel Debré.

 L'aventure du film

Assez rapidement, nait l’idée de faire un film. L’un de ces jeunes militants, Philippe Denizot, a un frère producteur à Paris. C’est Bernard Clarens qui dirige la société Elysées Relations Cinématographiques. Il conseille à « Zone libre » de tourner en 16 mm. C’est à travers lui que les chinonais obtiennent des caméras, de la pellicule… C’est encore par lui que transite la pellicule à développer, lui qui met à leur disposition une table de montage Atlas dans ses locaux parisiens. Les frais de laboratoire sont payés collectivement, l’aide de grands cinéastes est sollicitée. Un accordéoniste enregistre quelques airs de musette dans une cuisine parisienne pour mettre en musique certaines séquences…

Cette économie a une incidence directe sur les formes que prend Fontevraud au fur et à mesure de sa réalisation. « Zone Libre » dispose parfois d’une caméra à son direct, parfois d’une simple caméra 16 mm, parfois seulement d’un nagra pour enregistrer du son, toujours pendant une période bien déterminée. Quand une manifestation dégénère à Saumur le 23 juin 1973, « Zone libre » n’a pas de caméra. L’équipe ne peut pas filmer. Par contre, elle peut enregistrer du son, prendre des photographies. C’est à partir de ce matériel que nait 23 juin, un film-tract monté dans l’urgence en une quinzaine de jours. Des extraits de ce film formeront d’ailleurs l’une des séquences du film achevé.

Fontevraud prend à revers le charme pittoresque du Val de Loire : le bruit d’un camion militaire couvre soudain la description des richesses touristiques de la région, le réquisitoire de l’Abbé Jean Toulat contre l’industrie française de l’armement s’oppose au folklore inoffensif des cavaliers de l’Ecole du Cadre Noir à Saumur.

Les acteurs et les grandes étapes de la lutte à Fontevraud sont suivis entre 1972 et 1973. Le spectateur écoute les paysans Gérard Bonnin, Yvon David ou encore Georges Guérin. Il suit les militants lors de réunions, de manifestations, de conférences et lors de la longue marche des tracteurs jusqu’à Orléans pour rejoindre, via Tours et Amboise, la procession des tracteurs partis du Larzac. Les liens qui unissent les militants de Fontevraud aux militants d’autres luttes apparaissent : Guy Tarlier, l’un des leaders des paysans du Larzac apparaît dans le film et « Zone Libre » tourne plusieurs fois lors des grands rassemblements organisés sur le plateau.

Epilogue

L’équipe construit Fontevraud jusqu’en 1975, au rythme des disponibilités des membres de « Zone Libre » et du matériel. Une fois terminé, Fontevraud est montré une dizaine de fois dans les communes concernées par l’extension. Le film est inscrit au catalogue de la revue Cinéma Politique à la fin des années 1970 et circule encore un peu à travers les réseaux militants. Cela ne permet pas pour autant de gagner face au Ministère de la Défense. En 1975, les expropriations commencent. En 1981, alors que les militants du Larzac peuvent enfin souffler après l’élection de François Mitterrand, ceux de Fontevraud ont définitivement perdu leurs terres.

Ce texte a été rédigé en décembre 2011 à partir du témoignage de Philippe Denizot, membre de "Zone Libre" dès 1964 et déposant du film Fontevraud auprès de Ciclic Centre-Val de Loire.

Sorti le 23 novembre 2011, Tous au Larzac de Christian Rouaud retrace les combats des militants du Larzac entre 1971 et 1981. Le serment des 103, les brebis au pied de la Tour Eiffel, la construction de la bergerie de la Blaquière, les grands rassemblements sur le causse et les mille actions imaginées par les militants sont racontés par les premiers acteurs de cette lutte : Léon Maillé, Marizette Tarlier, Pierre et Christiane Burguière...

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