Carnet de résidence à Issoudun - Julie Biro donne de la voix(e) pour Violette Nozière

Alors que plusieurs films ont vu le jour grâce à la résidence de création de Ciclic Centre-Val de Loire, Julie Biro prend le relai en cette année 2022. Son projet, donner la parole à Violette Nozière à partir des collections d'archives de l'agence. Trois mois pour chercher, visionner et sélectionner les images qui donneront vie à un récit documentaire intimiste sur cette femme du XXe siècle... Aujourd'hui, nous interrogeons l'autrice pour mieux comprendre son parcours et sa volonté créatrice. Aujourd'hui, Ciclic Centre-Val de Loire donne la parole à Julie Biro.  

"Violette Nozière n'est pas une femme comme les autres". A première vue, c'est ce que nous pourrions dire à la lecture des différents documents qui référencent sa douloureuse aventure de vie, en premier, la presse de l'époque... Alors que le samedi 2 septembre 1933, en plein procés, le Petit Parisien titrait "La dramatique confrontation (...)", l'ensemble de la presse n'est pas en reste et en fait les gros titres. On comprend que Violette Nozière n'est plus, "l'Ange noir" prend le dessus. Sa vie de jeune femme s'efface au profit de la "jeune parricide"... Le temps et l'histoire ont fait leurs oeuvres et les actes ont pris le dessus. Mais qui est vraiment Violette Nozière ? 

C'est ici que Julie Biro, réalisatrice de son temps, intervient. Elle souhaite creuser la question du point de vue et prendre le contre pied des vérités dictées issues d'une histoire parfois "tronquée". Donner la parole à cette femme aux multiples facettes, voilà le postulat du projet de Julie Biro. Pour ce faire, une véritable enquête d'investigation est lancée. Trouver des temoins, rassembler les pièces d'un puzzle parfois mutique et donner des visages, des images à un passé effacé pour équilibrer l'histoire Violette..

Le projet est lancé et Julie B. nous invite à son entretien pour comprendre son cheminement en quelques questions :

Julie B. pouvez-vous nous en dire plus sur votre film - La parole de Violette  ? De quelle parole parle-t-on ?

Je réalise actuellement un film documentaire sur Violette Nozière et plus particulièrement sur sa parole. Car c’est ce qu’elle a pu dire ou écrire qui m’intéresse plus que tout ce qu’on a dit d’elle. Elle avait tué son père en 1933 et avait été condamnée à mort (peine commuée en travaux forcés). A cette époque, cette affaire avait défrayé la chronique, fasciné les badauds, les journalistes, les psychiatres, les chansonniers... Et plus tard, Claude Chabrol avait réalisé un film de fiction sur elle. Mais je ne trouvais pas trace de ses propres mots. Alors moi je suis partie à leur recherche.

Julie B. pouvez-vous nous apporter des éléments sur la naissance de ce projet ?

C’est pendant le confinement que j’ai entendu une émission de radio sur elle. Dès que cela m’a été possible, je suis partie aux archives. Je crois qu’il y a une constance dans mes projets cinématographiques qui me vient de mon expérience professionnelle antérieure (j’ai travaillé dans l’humanitaire pendant vingt ans) : je veux donner la parole et pas particulièrement la prendre. 

Julie B. quel est votre rapport avec l'archive audiovisuelle ? Cette matière vous est-elle connue et comment la travaillez-vous ?

J’ai vraiment le goût de l’archive pour paraphraser le titre d’un ouvrage d’Arlette Farge, historienne célèbre, mais pas particulièrement de l’archive audiovisuelle : les archives papier, les photos anciennes, les documents manuscrits m’émeuvent autant que des bobines de films. Être face à des archives, ouvrir des boîtes anciennes, plonger dans des dossiers, prendre le temps de les manipuler avec soin sont des gestes que j’aime beaucoup faire. Je me glisse dans une autre temporalité, tous mes sens sont en alerte pour repérer les clins d’œil du passé : une tâche sur une feuille, un mot griffonné dans la marge, une fleur séchée glissée là… Il y a la possibilité d’un rapport charnel à la matière. Vous l’aurez compris, le numérique me laisse souvent sur ma faim. 
Dans les ateliers de réalisation de films que je fais avec des publics variés (scolaires, publics en difficulté, détenus…), je commence toujours par aller aux archives. C’est aussi mon plaisir d’enquêter, de me déplacer physiquement. Et si j’aime remonter à la source, je crois que ça me vient de mes études d’histoire. J’ai eu à l’université des enseignants extraordinaires qui n’ont pas sanctuarisé les sources mais qui m’ont montré l’importance de savoir sur quoi j’appuie mon propos qu’il soit scientifique ou artistique ! 
Mon nouveau film est pour moi la première occasion de travailler avec des archives audiovisuelles, c’est un nouveau matériau. Pour l’instant je la visionne de manière numérique, ce qui la protège bien sûr mais ce qui me prive du contact physique. Mais cela n’empêche pas de plonger dans le temps, de m’interroger sur ce que la personne derrière la caméra a souhaité faire, qui elle était, de multiples détails de sa biographie qui me permettent de comprendre « son intention » pour employer un mot qui est cher au cinéma.

Julie B. pour vous quelle est la définition du cinéma amateur ?

Je n’ai pas de définition personnelle. C’est une expression que j’ai découverte aux rencontres Inédits l’an passé. Mais ce que je trouve formidable, avec toutes ces bobines que les gens apportent dans les centres de préservation des archives, c’est qu’elles en disent beaucoup sur les événements du passé, vus par des citoyens et citoyennes ordinaires, et elles en disent aussi beaucoup sur qui est derrière la caméra.

Julie B. pour vous quels films de la collection Ciclic Centre-Val de Loire représente votre projet ? 

Ce qui m’intéresse le plus sont des bobines subjectives, parfois maladroites, tournées dans la sphère privée. Par exemple, certaines bobines me permettent de représenter les images mentales de Violette, comme de longs travellings sur les paysages filmés en voiture, réalisés par Joseph Foret sur les routes de la Marne dans les années 40. Ou encore un plan séquence sur un cerisier en fleur fait par Aristide Bonnard à la fin des années 40, ou enfin des images de Nicole Signoret où elle tente de suivre un papillon qui lui échappe avec sa caméra. Il y a aussi ce fonds Gassiés reçu récemment par Ciclic avec des images splendides faites dans les années 30 avec des points de fuite, où on voit aussi la matière de la bobine. Je suis sensible aux imperfections, à la matière qui apparait. Et mon film est aussi une histoire fragile et sensible, la forme et le fond se répondent. 

Julie B. pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce que vous ressentez en visualisant cette archive ? 

Il y a ces images de 1952 filmées par Jean-Louis Steinberg, ingénieur astrophysicien qui part avec ses collègues repérer les lieux où la station d’astronomie de Nançay sera construite. Je suis tombée au départ sur certains cadrages très instructifs, de vrais repérages scientifiques. Et soudain, les images deviennent plus vagues et hésitantes, mais aussi plus poétiques. Son esprit semblait divaguer un peu. On ressent plus d’émotions dans les images que Jean-Louis Steinberg filmées à la dérobée. J’étais intriguée par la personnalité de celui qui avait pris ses images. En cherchant sur la base Diaz de Ciclic, j’ai découvert que Jean-Louis Steinberg était Juif avait été déporté avec sa famille et avait été le seul à revenir du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Ses images ont été prises moins de 7 ans après son retour. Sachant cela, nous regardons ces images autrement.  

La parole de Violette n'a pas encore de visage mais Ciclic Centre-Val de Loire vous invite à suivre l'actualité autour de cette oeuvre. D'ailleurs n'hésitez pas à consulter ci-contre le film de Jean-Louis Steinberg sur la construction de la station radioastronomie de Nançay.

Julie Biro a débuté sa résidence en septembre et continuera l'exploration des fonds jusqu'en nomvembre 2022, l'occasion de faire de belles découvertes au service de son art. Bien entendu, Ciclic Centre-Val de Loire accompagnera le projet produit par ts productions

Julie Biro - Née en 1970. Historienne de formation. A effectué plusieurs postes dans l’humanitaire pour la Suisse (Direction du Développement et de la Coopération, Fondation Terre des hommes) et en France (Coordination SUD, CCFD-Terre Solidaire). 2011 Formation en réalisation documentaire aux Ateliers Varan. 2014 Formation en montage et en son à l’École des Gobelins.

Action artistique, pédagogique et culturelle - Projet Art et culture au collège Paul Painlevé à Sevran: réalisation d’un film sur les traces d’Alfred Nobel avec une classe de 4e. - Juillet 2020 : Animation d’un atelier Cinéma lors des Quartiers d’été de Bobigny avec l’association Belladone. - Février 2020: accompagnement à la réalisation d’un court métrage Altercaravane européenne par un groupe de 14 jeunes militants associatifs : conseils sur la narration cinématographique, formation technique, suivi pendant le tournage, montage. - 2019-2020 : Projet Art et culture au collège Alfred Sisley à L’Île-Saint-Denis : réalisation d’un film comique muet avec une classe de 4e : écriture collective du scénario, tournage (avec et par les élèves).

Filmographie 

Léanyfalu, le jardin secret de ma grand-mère, exposition photo & sons. No name, film d’étude produit par les Ateliers Varan, format court documentaire sur Milomir Kovacevic, photographe de Sarajevo vivant à Paris depuis la guerre en Bosnie (sélectionné par le festival André Targe), diverses projections à Sarajevo à Belgrade (printemps 2012).

Retour à Višegrad : Long métrage documentaire (co-réalisateur Antoine Jaccoud, Louise Productions, distribution Outside the Box).
25 ans après la guerre, Budimir, ancien directeur d’école à la retraite part sur les routes ex-yougoslaves à la recherche des enfants qui étaient ensemble à l’école avant que la guerre ne mette fin à leur insouciance. Il leur propose une réunion de classe. 
Le film est sorti en salles en Suisse. Il a aussi été sélectionné notamment à Visions du réel, à la Mostra de Sao Paolo, au Sarajevo Film Festival et au Festival international du film d’éducation. 
On peut voir le trailer ici : https://www.outside-thebox.ch/retour-a-visegrad/