Rare portrait de l'artiste Bascoulard

En octobre 1946, Guy Magdelein réussit à entraîner Marcel Bascoulard dans le petit studio du Ciné-Berry-Amateur récemment formé en janvier 1945. Bascoulard est alors âgé de 33 ans et fait partie de la vie berruyère depuis longtemps.

Le film de Guy Magdelein

Les images du cinéaste amateur Guy Magdelein sont saisissantes, tout d’abord ce choix, inhabituel chez lui, de choisir un lieu clos, le studio, un éclairage dur et un fonds noir. C’est le portrait de Bascoulard qu’il veut faire, ce dernier, le visage sale mais souriant et plein de jeunesse, la bouche déjà édentée, s’adresse à lui dans de grands gestes, que lui raconte-t-il de manière aussi véhémente, lui d’habitude si fuyant ?

Second plan, Bascoulard est absorbé, on ne voit pas ses mains, de temps à autre son visage se tourne vers la droite comme s’il dessinait sur le motif. Pourtant le troisième plan est sur ses mains sales posées sur deux dessins terminés, d’un bout de crayon, il termine quelques détails, par petits coups ou grattures. La séquence d’1 minute 17 secondes se termine par un portrait du profil gauche complètement décentré dans le cadre où l’œil noir et la barbiche de Bascoulard font penser immanquablement à un clair-obscur peint par Le Caravage.

La vie de Marcel Bascoulard

Le livre de Patrick Martinat : Bascoulard. Dessinateur virtuose, clochard magnifique, femme inventée aux Cahiers dessinés (2014) trace parfaitement les contours de l’œuvre de cet autodidacte né en 1913. L’enfance de Bascoulard se passe à Bigny-Vallenay près de Saint-Amand-Montrond dans le Cher entre sa sœur aînée Marie-Julie et son jeune frère Roger. Après la Grande Guerre, la famille migre sur Saint-Florent-sur-Cher, le père est maçon. La jeunesse de Marcel se termine brusquement par l’assassinat de son père par sa mère le 25 septembre 1932. Cette dernière est internée à l’hôpital psychiatrique de Beauregard à Bourges et finira sa vie à l'asile. Marcel se rapproche de sa mère et rejoint Bourges, se marginalise très vite, loge dans des caves, des cabanes dans les marais puis dans le quartier d’Avaricum, voué à la démolition.

Qui se promenait dans le centre-ville de Bourges avait toutes les chances de croiser l'homme, s’habillant parfois en femme, le plus souvent d’une blouse grise, se déplaçant en compagnie d’un chat et plus tard d’un étrange tricycle, troquant son travail d'artiste pour du lait ou pour la viande de ses chats.

Jean-Jacques Laverdant, issoldunois, se souvient :
« J'étais aux Beaux-Arts de Bourges à cette époque et je le voyais tous les jours. Il était rue Porte-Jaune ou place Gordaine. Il dessinait très souvent la cathédrale et ce qui me surprenait, c'est qu'il n'était pas sur le motif. D'une certaine manière, il nous ravissait la vedette… » [1]

Bascoulard, une mémoire eidétique

Le talent de Marcel Bascoulard est certa/in, le personnage au prime abord repoussant n’a rien fait pour se promouvoir. Il semble pourtant doté, si on se réfère aux propos de Jean-Jacques Laverdant, d’une mémoire photographique comme l’artiste coréen Kim Jung Gi ou le londonien Stephen Wilthire diagnostiqué Asperger et doté d’une mémoire eidétique. Le fait que Marcel Bascoulard parlait plusieurs langues, le russe, le suédois et l’allemand, qu’il avait appris tout seul, viendrait corroborer cette hypothèse.

Assassiné le 12 janvier 1978 par un jeune marginal, Marcel Bascoulard repose au cimetière Saint-Lazare (Massif 7 - L11 - F152), les obsèques furent payées par la Ville de Bourges reconnaissant son talent à sa réelle dimension. Plus tard, on donnera son nom à une petite place située entre la rue Mirebeau et la rue Calvin, et vingt ans plus tard en 1998, un buste en bronze y est implanté représentant l'artiste Marcel Bascoulard.

A l’heure où ses œuvres se dispersent et où les témoins se raréfient, 120 oeuvres originales furent exposées en février 2008 au Conseil général du Cher, des dessins de Bascoulard furent présentés dans le cadre d'une exposition « Les Cahiers dessinés » à la halle Saint-Pierre à Paris-XVIIIe du 21 janvier au 12 août 2015, puis l’Ensa de Bourges lui consacra une exposition intitulée « Marcel Bascoulard, sismographe du temps nerveux » du 24 juin au 31 août 2016 à La Box. Plus récemment, les lycéennes et lycéens de l'atelier cinéma-audiovisuel du Lycée Professionnel Jean Mermoz de Bourges ont réalisé un film intitulé "Bascoulard et nous", document consacré à l'artiste clochard, poète et dessinateur qu'il présenteront le 19 septembre 2017 à 17h00, allée des collèges à Bourges.

Longtemps réservée aux seuls berruyers qui pour certains l’ont soutenu via un système de troc de ses dessins contre des denrées, l’œuvre de Marcel Bascoulard a commencé à rayonner au-delà de Bourges et sa côte ne cesse d’augmenter jusqu’à atteindre 6123€ en avril 2017 [2] pour un dessin.


[1] La Nouvelle République, 09/12/2014, Emmanuel Bédu
[2] Le Berry Républicain, 08/04/2017, Bertrand Ph/il/ippe

Pour en savoir plus : « Bascoulard » de Patrick Martinat, Éditions Les Cahiers dessinés, 2014 et « Monsieur Bascoulard » de Bernard Capo, Bulleberry Éditions, 2013.

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